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David Saelens (LCA Nutrition animale) : « Il y aura un avant et un après 2022 »

« Il faut une réflexion approfondie sur les enjeux du bouclage des cycles entre productions animales qui peuvent contribuer à la durabilité des productions végétales, grâce aux engrais que représentent les déjections, notamment », souligne David Saelens, président de La Coopération agricole Nutrition animale, rencontré le 9 novembre dans les locaux de LCA, à Paris. © Y. BOLOH

David Saelens, président de la section nutrition animale de La Coopération agricole, qui tient sa convention ce jeudi 10 novembre, veut que la nutrition animale prenne toute sa place d’interface entre productions animales et productions végétales. Nous l’avons rencontré la veille au soir à Paris.

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Quel est le bilan de cette année 2022 ?

David Saelens : Les volumes seront en recul de 6 à 7 %, ce qui est énorme et représente l’équivalent de 12 usines de taille moyenne. Plusieurs gros évènements nous ont fortement impactés. Le 24 février, date de la déclaration de la guerre en Ukraine, a ainsi induit la flambée des cours des matières premières qui étaient déjà en train d’augmenter et qui restent à des niveaux très haut actuellement. Nous avons eu de vraies difficultés à traduire et à transférer cette hausse dans les prix de nos aliments. La nutrition animale a joué pleinement son rôle d’amortisseur au service des éleveurs jusqu’à, dans certains cas, peser sur les comptes d’exploitation des entreprises tant l’amplitude est importante. Heureusement, et malgré les craintes de rupture que nous avions en février mars, nous avons toujours pu avoir des matières premières. Et l’aide à l’élevage a permis à certains de nos clients de faire le lien en trésorerie avant la hausse des prix des produits animaux.

Et pour les volumes de production ?

D. S. : L’influenza aviaire est naturellement un autre des sujets majeurs de l’année avec son impact sur le Sud-Ouest mais aussi sur les régions Ouest plus au nord. Nous confirmons que son impact est d’au moins 650 000, voire 700 000 tonnes. Nous sommes préoccupés par les nouveaux cas détectés très tôt cette année, l’influenza aviaire est vraiment une épée de Damoclès pour toutes les régions. C’est aussi le cas pour la mienne, proche de la baie de Somme avec ses oiseaux migrateurs. Et la production avicole souffre aussi d’un déficit de poussins, puisque certains élevages de reproducteurs ont été impactés, notamment en Vendée.

Le troisième évènement de 2022, c’est la flambée de l’énergie…

D. S. : Absolument, elle se fait sentir en 2022 et elle va se confirmer de manière extrêmement forte en 2023. La répercussion est naturellement très hétérogène à court terme d’une usine à l’autre selon les taux de couverture, mais tout le monde va être durement impacté à moyen terme. Le coût par tonne de granulé a été triplé pour atteindre 20 €/t en moyenne. Et le niveau auquel le gouvernement veut bloquer les prix de l’électricité est bien plus élevé que ce qu’ont retenu nos voisins espagnols et allemands, au risque de générer une vraie distorsion de compétitivité.

Face à ce contexte compliqué, que demandent vos adhérents ?

D. S. : Ils nous demandent une clarification de la proposition du gouvernement en matière d’énergie. Ils s’interrogent aussi sur la réorganisation du potentiel des outils industriels pour passer en heures creuses. Mais pour des usines comme les nôtres qui produisent un grand nombre de produits différents, impossible d’envisager de stocker les produits finis en vrac. Il faut donc réfléchir à faire rouler les camions de livraisons en élevage le dimanche, par exemple. Nous pensions avoir vécu le pire avec la crise Covid, mais ce n’était finalement qu’un signe avant-coureur de ce qui nous arrive désormais. Il y aura bien un avant et un après 2022.

Craignez-vous encore des ruptures de matières premières ?

D. S. : Outre l’aspect purement conjoncturel de l’arrêt de certaines productions comme la déshydratation des pulpes de betterave en sucrerie, nous craignons que nos fournisseurs ne changent de modèle en cessant, de façon structurelle, cette production. Ils livreraient ainsi des matières premières humides, ce qui nous impose de nous adapter aussi. Mais cela ouvre également grand la porte à la concurrence des méthaniseurs, friands de ces produits à fort pouvoir méthanogène.

Il existe toutefois des signaux positifs ?

D. S. : Tout à fait, car l’élevage français n’est pas fini. Au sein de La Coopération agricole, notre section nutrition animale doit d’ailleurs renforcer sa place d’interface entre les productions animales et les productions végétales. C’est une volonté forte de mon mandat, car la nutrition animale apporte des solutions aux productions animales en lien avec les productions végétales, l’énergie, l’environnement. Par exemple, nous avons lancé un travail avec les Métiers du grain autour du plan protéines mais aussi de la contractualisation. N’oublions pas que la nutrition animale française consomme 10 Mt de céréales, dont la moitié de blé, c’est-à-dire plus que la meunerie. L’avantage de la coopération agricole est de rassembler tous les maillons de toutes les filières.

Et du point de vue de la durabilité ?

D. S. : La durabilité des élevages et leur impact environnemental peuvent être améliorés par les solutions que nous apportons. Mais il faut aussi un vrai dialogue structuré avec nos fournisseurs et une réflexion approfondie sur les enjeux du bouclage des cycles entre productions animales qui peuvent contribuer à la durabilité des productions végétales, grâce aux engrais que représentent les déjections, notamment ! Les enjeux de la décarbonation rebattent toutes les cartes. Rappelons aussi l’engagement volontaire de la nutrition animale française avec la charte Duralim. 95 % des volumes produits par la coopération ont signé le manifeste pour 100 % d’approvisionnement sans déforestation en 2025.

Êtes-vous inquiet quant au prochain règlement européen sur cette question de la déforestation ?

D. S. : Nous verrons quels seront les résultats du trilog, nos fournisseurs devront nous apporter les garanties exigées. Nous serons très vigilants sur les importations de produits animaux : nous demandons que toutes les espèces soient inclues dans le règlement et que tous les produits importés apportent les mêmes garanties de non-déforestation.

Yanne Boloh

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